Les évolutions qui affectent le marché du travail trouvent leur origine dans un faisceau de causes : économiques, politiques, sociétales. Il n’est pas faux de lire notre rapport au travail comme une part importante de notre rapport au monde et à la vie en général. Ces dernières années, la tendance observée par les sociologues et les économistes est un déclin, lent mais inexorable, du salariat (CDD et CDI). Avérée ou non, la fin annoncée de ce statut divise l’opinion : uberisation de l’économie pour les uns, arme redoutable contre le chômage pour les autres. Mais tous reconnaissent que nous assistons à une mutation du marché du travail, visible dans les chiffres mais surtout dans les mentalités. Dans un pays traditionnellement réfractaire à la flexibilité de l’emploi, c’est tout de même une évolution significative. Le temps où les carrières étaient linéaires est désormais révolu : chacun sait que les chances d’évoluer dans la même entreprise, depuis l’entrée dans la vie active jusqu’à la retraite, s’amenuisent. Comment expliquer l’apparition de nouvelles formes de travail ? A quoi ressemblent ces carrières d’un genre nouveau ? Et quelles sont les adaptations nécessaires pour permettre la prise en compte de ces carrières fractionnées ?
Les causes expliquant l’apparition de nouvelles formes de travail
Si l’hégémonie longtemps incontestée du salariat semble vouer à disparaître, c’est que les causes qui sous-tendent cette évolution agissent comme une lame de fond. Les entreprises, les travailleurs et les pouvoirs publics ont chacun leurs raisons de souhaiter l’avènement de nouvelles formes de carrières.
Les entreprises ont besoin de flexibilité
Face à un Code du travail qui peine à se réformer, embaucher comporte souvent des facteurs de risques trop importants. La menace prud’homale fait office d’épouvantail pour beaucoup d’employeurs. A cela s’ajoute la rigidité des lois du travail, qui ne permettent pas aux entreprises d’adapter facilement leur masse salariale en fonction de l’évolution de leurs besoins. En cas de perte de marché par exemple, comment réduire la voilure ? Ce besoin de flexibilité exprimé par les employeurs est la première cause de développement des nouvelles formes de travail.
Les aspirations nouvelles des salariés
Nous vivons dans une société hédoniste, dans laquelle chacun aspire légitimement à sa part de bonheur, selon l’expression consacrée. Le salariat, et le rapport de subordination qu’il suppose, sont perçus négativement par une partie de la population. Haro sur les corsets qui entravent la liberté ! Le travailleur d’aujourd’hui, et plus encore celui de demain, veut s’affranchir des contraintes : gérer lui-même son planning, définir sa journée de travail comme il l’entend, en un mot ne rendre de comptes qu’à lui-même. Ces aspirations nouvelles des travailleurs expliquent en grande partie l’apparition des nouvelles formes de travail.
Les incitations des pouvoirs publics
Dans un contexte de chômage, toutes les mesures susceptibles de favoriser le retour à l’emploi sont encouragées par les gouvernements successifs. C’est sous cet angle qu’il faut lire la création de nouveaux statuts juridiques, plus souples, sur le marché du travail. En proposant une alternative à l’embauche classique, ils permettent de lutter contre le chômage. L’auto-entrepreneur en est un bon exemple.
A quoi ressemblent les nouvelles formes de carrières ?
Brosser le portrait type du travailleur de demain n’est pas chose aisée, tant le marché du travail semble s’orienter vers un visage polymorphe. Quelques grandes tendances se dessinent tout de même.
De nouvelles dispositions contractuelles
Apparu en 2008, le statut d’auto-entrepreneur se caractérise par sa souplesse. Il rompt le lien de subordination ancien qui existait entre le salarié et son employeur. L’auto-entrepreneur, ou micro-entrepreneur, est un travailleur indépendant ! Qu’il pratique une activité de vente de marchandises ou de prestation de services, il travaille pour son propre compte auprès des particuliers et des entreprises. Les avantages fiscaux et la liberté attachés à ce statut expliquent son succès. Ses démarches de création sont simplifiées : il lui suffit d’une adresse professionnelle, qu’il peut obtenir en quelques clics auprès d’un centre d’affaires (citons le cas de Dom&Work, leader de la domiciliation d’entreprise à Toulouse). Il pourras ensuite faire les démarches sur un portail spécialisé.
Le portage salarial, quant à lui, s’est développé dans les années 1990. En 1998, la création d’un syndicat national des entreprises de portage salarial a marqué la volonté de la profession de s’organiser. L’attractivité de ce statut réside dans la possibilité pour une personne de tester un projet, sans avoir besoin pour cela de créer une entreprise. Le travailleur sera alors hébergé par la société de portage salarial.
De nouvelles organisation du travail
Le besoin de souplesse des entreprises et le désir de liberté des travailleurs se conjuguent pour donner naissance à de nouvelles formes d’organisation du travail. Encore impensable il y a quelques années, le télétravail concernerait aujourd’hui 16 % des actifs, si l’on en croit le rapport Mettling remis au Ministère du Travail en septembre 2015. Bien que controversé, ce chiffre est pourtant l’un des indicateurs qui atteste de la mutation des carrières. Indépendamment du lieu de l’activité, on assiste également à un bouleversement des horaires de travail : des statuts comme celui de l’auto-entrepreneur permettent plus facilement le travail à temps partiel ou les horaires décalés. Si nous n’en sommes qu’aux prémices, les mutations qui affectent l’organisation du travail sont bel et bien profondes et transversales.
L’apparition de travailleurs multicartes
Cumuler plusieurs activités est également est une tendance en plein essor. Là encore, la souplesse des nouveaux statuts favorise cette évolution. Sous réserve de ne pas dépasser 48 heures de travail hebdomadaire, il est par exemple tout à fait légal de travail simultanément avec plusieurs sociétés de portage salarial. La poly-activité est perçue par les travailleurs d’aujoud’hui comme un facteur d’indépendance : ne pas mettre tous ses œufs dans le même panier, comme dit l’adage …
La prise en compte des nouvelles formes de carrières : le rôle des tiers
Si l’avènement des nouvelles formes de travail est un atout prometteur dans la lutte contre le chômage, on ne peut quand même pas nier qu’elles comportent un risque de précarisation des travailleurs. Cela ne doit pas constituer un frein, mais simplement inciter à la vigilance pour éviter les dérives. De ce point de vue, les acteurs du secteur privé et les pouvoirs publics ont un rôle prépondérant à jouer.
Le rôle des acteurs privés
L’esprit de responsabilité doit prévaloir, pour les sociétés de portage salarial, comme pour les plateformes mettant en relation les auto-entrepreneurs et leurs clients. L’exemple des freelances est révélateur. Nombreux sont les sites internet, français ou étrangers, qui proposent de rapprocher ces prestataires de services et les entreprises à la recherche de talents. Ces plateformes doivent exercer convenablement leur rôle de gendarme, en s’assurant qu’un freelance ne travaille pas de façon systématique et exclusive pour un seul et unique client. Si tel était le cas, on parlerait de salariat déguisé, ce qui serait bien entendu contraire à la loi.
Le rôle des pouvoirs publics
Face au développement des nouvelles formes de carrières, le rôle de l’Etat est double et concerne : la nécessaire évolution du Code du travail d’une part, et la sécurisation des parcours d’autre part. De nouveau, l’exemple des freelances est significatif. Pour compenser les prix bas pratiqués sur certaines plateformes, certains choisissent l’option de la quantité, quitte à s’imposer des horaires de travail démentiels. Encadrer sans entraver, telle sera la difficile voie médiane que les autorités publiques devront emprunter …
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